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Le discours rapporte un usage moderne
Sâmbătă, 07 August 2010 20:01

LE « DISCOURS RAPPORTE » (DR)

– UN USAGE MODERNE

 

Lector ILIE MINESCU

Universitatea de Vest TIMIŞOARA

 

 

            Parler de discours rapporté, de discours direct et indirect est un usage moderne pour désigner des faits grammaticaux qui, jusque là, n’avaient pas leur place dans la réflexion linguistique ou avaient connu un traitement différent. Ainsi, le discours indirect a longtemps été traité comme une complétive avant de bénéficier d’un chapitre à part dans les grammaires. Si dans le domaine de la recherche linguistique le terme de « discours rapporté » est couramment utilisé, les grammaires classiques (symbolisées par Grevisse) hésitent encore à l’utiliser. Par exemple, Jean Dubois et René Lagagne, dans leur Nouvelle grammaire du français (Larousse, 1973) utilisent encore le terme de « style direct » et « style indirect », dans le chapitre « La narration », ce qui approche ce sujet au domaine de la rhétorique.

            Cependant, l’édition du Bon usage de 1995 franchit le pas et le chapitre anciennement nommé « discours indirect » est désormais intitulé « discours rapporté ». Charaudeau traite du discours rapporté à des endroits différents de sa Grammaire du sens et de l’expression (1992) : au paragraphe sur la concordance des temps, dans la partie concernant les modalisations et au chapitre regardant le mode d’organisation « énonciatif du discours ». Pierre Le Goffic, lui-aussi, introduit la problématique du discours rapporté dans le chapitre sur les constructions transitives à un complément (Grammaire de la phrase française), sans la traiter dans un chapitre ayant un titre spécifique.

            Plus récemment, des linguistes comme Harald Heinrich (Grammaire textuelle du français, 1989) et surtout Dominique Maingueneau (L’Analyse du discours, 1991 ; L’Énonciation en linguistique française, 1991, Analyser les textes de communication, 1998) utilisent le terme de « discours rapporté » et analysent ses formes.

            Lorsqu’on parle du discours direct et du discours indirect, on a l’habitude de présenter le couple comme un calque d’un ancêtre latin opposant l’oratio recta à l’oratio obliqua. Cependant cette équivalence est suspecte. Sur le plan pratique, il s’avère difficile de faire correspondre les formes modernes de discours direct et de discours indirect aux formes latines, difficulté que révèle par exemple le fait que le discours indirect des Latins pouvait se passer de la forme complétive symbolisée par la formule dire + que[1]. Sur le plan théorique l’opposition oratio recta/ oratio obliqua est une opposition d’ordre rhétorique, qui dénote encore l’usage du vocable « style » dans les expressions « style direct » et « style indirect ». L’usage actuel du couple DD/DI est d’ordre phrastique, envisagé dans une syntaxe propositionnelle. En latin, le problème du discours rapporté est traité dans le cadre des figures de narration et non comme un fait grammatical.

            C’est intéressant de pointer le moment où apparaît, dans la grammaire de langue française, l’appréhension en termes grammaticaux des discours direct et indirect.

            C’est au XVIIe siècle que l’on trouve la première attestation d’un traitement grammatical de l’opposition entre DD et DI, avec un privilège accordé à la forme indirecte, symbole de l’unité de la prédication, dans la grammaire de Port-Royal. La grammaire du XVIIIe siècle y ajoutera parfois la composante temporelle, comme l’abbé Girard en 1747. On constate que la translation temporelle s’opère afin de renforcer l’unité de la proposition. Pourtant l’expression de « discours indirect » ne se trouve pas sous la plume de l’abbé[2].

            Beauzée, toujours au XVIIIe siècle, traite du discours indirect dans l’étude globale des rapports entre proposition principale et proposition incidente. Chez lui, c’est au paragraphe consacré aux deux point que l’on trouve décrite la manière de rapporter directement les paroles d’autrui – le discours direct. Le XVIIIe siècle donc pose le problème du DD en termes de ponctuation et envisage l’écrit dans son rapport à l’oral, où la ponctuation sert de transcription des marqueurs intonatifs.

            Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que le problème du « discours rapporté » se repose avec acuité, dans ses rapports avec la rhétorique ou le style d’une part, la linguistique d’autre part. C’est à cette époque-là qu’on fait la « découverte » d’une forme emblématique : le discours indirect libre, attribué à Tobler, en 1887[3]. Lorsque le discours indirect libre apparaît dans le champ de la réflexion grammaticale, DD et DI se mettent à fonctionner en couple, voire en triptyque avec le DIL.

            Bally est, à l’époque (1912-1913), le seul linguiste du champ linguistique français à se pencher de façon privilégié sur les trois styles[4]. Entre style et grammaire, le triptyque se constitue, en se cristallisant autour du style indirect libre, dont la composante littéraire est mise en avant par le linguiste genevois.

            La linguistique énonciative qui se construit au début du XXe siècle s’est heurtée aux problèmes soulevés par les rapports du dit d’autrui comme si ces formes restaient à son propos. Entre grammaire et style, le couple DD/DI, venu de la rhétorique latine et récupéré par la syntaxe, ne satisfait personne et on préfère l’évacuer en quelques lignes. Ainsi, Le Bidois (1967) le traite comme une sous-classe de la phrase complexe, Dubois-Lagane (1987) le considère un mode de narration. On peut cependant affirmer que les progrès de la grammaire du discours et de la linguistique textuelle favorisent une appréhension contextuelle des formes du discours rapporté.

            Dans le cadre des théories de l’énonciation, Benveniste oppose le discours à l’histoire ou au récit, comme deux plans d’énonciation[5]. Pour lui, la transposition du direct vers l’indirect suppose qu’on passe du plan du discours au plan de l’histoire.

            Avant Benveniste, Bakhtine associe « discours » et « énonciation », notamment dans sa définition du discours rapporté : « Le discours rapporté, c’est le discours dans le discours, l’énonciation dans l’énonciation »[6]. La théorie de l’énoncé de Bakhtine comprend l’énonciation au sens de la situation d’énonciation.

            L’usage du mot « énonciation » chez les linguistes traitant du discours rapporté s’apparente plutôt à la définition de Bakhtine. Dominique Maingueneau  regroupe l’acte et le produit : « (…) quand on emploie le terme discours dans le cadre de l’énonciation, (…) c’est pour rapporter l’énoncé à l’acte de l’énonciation qui le supporte »[7]. Et toujours chez le même auteur : « Les problèmes linguistiques soulevés par le fonctionnement du discours rapporté intéressent au premier chef la théorie de l’énonciation : comment une énonciation peut-elle inclure une autre ? »[8]

            On peut donc conclure que l’énonciation se situe au cœur du discours rapporté. Entre style et énonciation, entre paroles et énoncés, le discours rapporté apparaît attaché à des notions appartenant au plan effectif du discours, dans son opposition à la langue.

            Entre la rhétorique d’hier et l’énonciation d’aujourd’hui, les trois formes du discours rapporté ont fait éclater les contraintes de la grammaire de phrase, qui a tenté de les brider par l’annexe du discours indirect, réduit à sa dimension phrastique. Mais la grammaire a le plus souvent opté pour la mise à l’écart des phénomènes du discours rapporté, qui se trouve alors isolé, bénéficiant d’un chapitre à part, au milieu d’une grammaire des parties du discours.

            En envisageant le discours rapporté comme un phénomène énonciatif particulier, qui confronte deux énonciations, soit en les laissant inchangées (DD), soir en les rendant l’une dépendante de l’autre (DI), soit en les mêlant subtilement (DIL), on ouvre les portes à la linguistique textuelle qui peut envisager de façon conjointe et large les types de discours rapporté selon l’ancrage énonciatif, qui ne se réduit pas à la phrase. Dans ce cadre, le sujet est celui qui est en charge d’inclure une énonciation dans la sienne propre.

 

BIBLIOGRAPHIE

1. Benveniste, E., (1966), Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard

2. Cerquiglini, B., (1984), Le style indirect libre et la modernité, in Langages, 73, p. 7-16

3. Charaudeau, P., (1992), Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette

4. Maingueneau, D., (1991), L’Enonciation en linguistique française, Paris, Hachette

5. Maingueneau, D., (1991), L’Analyse du discours, Paris, Hachette

6. Maingueneau, D., (1981), Approche de l’énonciation en linguistique française, Paris, Hachette

 



[1] Laurence Rosier, Le discours rapporté, histoire, théories, pratiques, p. 13-14

[2] Ibidem, p. 27

[3] Laurence Rosier, op. cit., p.32

[4] Ibidem, p. 37

[5] Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, II, p. 242

[6] M. Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, p. 161

[7] D. Maingueneau, L’Énonciation en linguistique française, p. 6

[8] Ibidem, p. 100

 

Ultima actualizare în Sâmbătă, 07 August 2010 21:28
 

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