L’ÉTUDE DE LA LITTÉRATURE DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE EN ROUMANIE
SILVIA NICOLETA BALTĂ
Şcoala Gimnazială „Maria Rosetti”, Bucureşti
L’enseignement de la littérature dans le système d’enseignement secondaire roumain devrait être mis en question comme dans beaucoup d’autres systèmes étrangers. Le présent article tente de répondre à ce besoin et d’identifier les causes qui se trouvent à l’origine du manque d’intérêt des élèves roumains pour la lecture. Nous essayons de présenter à travers l’analyse des manuels scolaires approuvés par le Ministère et les programmes en vigueur, la place desétudes littéraires dans l’ensemble des matières scolaires et les contenus à enseigner, la relationclasse delittérature -classe de langue et les défis auxquels les professeurs sont soumis, ainsi que le rapport littérature nationale - littérature universelle (mondiale) etl’ethnocentrisme littéraire roumain.Toutes les informations recueillies montrent que le système d’enseignement actuel est incapable de créer les conditions nécessaires à une vraie étude de la littérature.
Mots-clés: littérature, lecture, enseignement, programme, manuels, plaisir de lire
La littérature en question
La société roumaine du début du XXIe siècle devient de plus en plus pragmatique et informatisée. Les gens vivent dans un rythme plus alerte qu’auparavant et la notion de patrimoine matériel gagne inévitablement du terrain dans l’esprit des individus au détriment de celle de patrimoine immatériel. Ils sont bien peu nombreux ceux qui font de la littérature et de la lecture une habitude de vie, le garant de l’épanouissement personnel dans une société dite moderne. Certes, nous sommes tous responsables de nos propres choix, mais, en même temps, nous sommes les produits d’une certaine école qui laisse son empreinte sur nos attitudes et nos comportements.
Les élèves d’aujourd’hui ne manifestent plus d’intérêt pour les études littéraires et la lecture en général. À qui la faute ? Est-ce la faute des élèves ? Est-ce la faute de leurs professeurs ? Est-ce la faute du système d’enseignement dans son intégralité ? Est-ce la faute de la société et du développement informatique ? Enfin, est-ce la faute de l’État ? Certes, il n’y a pas un seul coupable dans ce procès, car, à des degrés variés, la faute appartient à tous.
L’utilisation de l’internet par les élèves roumains dès le plus jeune âge est de plus en plus mise en question par les parents et les professeurs. Avec ses deux atouts, l’image et le son, l’internet semble l’univers idéal pour les jeunes vivant dans une communauté qui longtemps s’est vue refuser l’accès à l’information. Il ne faut pas oublier que, dans la société roumaine de l’époque communiste, la censure a joué, paradoxalement, un rôle très important dans la relation lecteurs - littérature. D’une part, le contexte politique et idéologique encourageant la traduction massive de plusieurs chefs-d’œuvre de la littérature universelle, a permis aux lecteurs roumains d’élargir leurs connaissances, de recevoir des modèles de pensée autres que celle de la propagande. D’autre part, le même contexte a favorisé, sans le savoir, la lutte subversive contre le régime oppressif par la voie des lettres, combat qui s’est terminé, par un effet boomerang, avec la défaite du communisme et la victoire de la démocratie. Mais, cette démocratie a apporté des bouleversements importants dans le fonctionnement de la société, et même au niveau du système d’enseignement. À partir de 1989, les dirigeants du Ministère de l’Éducation Nationale s’établissent comme principal objectif la réforme de l’école roumaine, tant au niveau de la structure des enseignements qu’au niveau des contenus à enseigner, afin de mieux répondre aux besoins de la société de consommation et aux directives européennes.
Dans les pages qui suivent j’aborderai successivement et de manière plutôt descriptive des aspects qui ont trait à la place et au rôle de la littérature roumaine dans l’enseignement secondaire.Vu la diversité des systèmes d’enseignement dans le monde, il est nécessaire de définir ici ce qu’on entend par enseignement secondaire dans l’espace culturel roumain. En Roumanie, l’enseignement secondaire est organisé sur deux niveaux, le niveau inférieur et le niveau supérieur. Le secondaire inférieur comprend le collège, à savoir la 5e, la 6e, la 7e et la 8e, et le cycle inférieur du lycée (la 9e), donc cinq années scolaires. Le secondaire supérieur inclut le cycle supérieur du lycée, à savoir la 10e, la 11e et la 12e/13e, donc trois ou quatre années d’étude.
Langue et littérature
Si l’on affirme que la langue et la littérature d’un peuple sont indissociables, alors on doit être d’accord avec les concepteurs de disciplines qui sont partis, au moins pour le cas de la Roumanie, du même postulat. Les manuels scolaires pour l’enseignement secondaire, qu’il soit inférieur ou supérieur, en sont la preuve vu que les questions de langue et celles de littérature sont regroupées dans le même livre. L’enseignant a ainsi la mission de dispenser à la fois des cours de langue et de littérature, tâche qui n’est pas toujours facile à accomplir. La littérature n’est donc pas une discipline d’enseignement au même titre que les mathématiques ou la musique. Seuls les élèves inscrits en filière philologique ont le privilège d’étudier une discipline littéraire qui s’intitule Littérature universelle. Le curriculum permet également d’étudier la littérature roumaine ou universelle dans des classes optionnelles dont le contenu est établi par l’enseignant et ensuite approuvé par les académies locales (en roumain inspectorate).
Les nouvelles méthodes d’enseignement, en particulier l’approche communicative sur laquelle repose la rédaction des documents officiels et des manuels, ont contribué à la diminution des classes dédiées exclusivement à la littérature surtout au niveau du collège. Toutefois, le nombre de textes littéraires dans les manuels scolaires n’a pas diminué. Ils sont généralement utilisés comme support d’apprentissage de la langue, de la lecture et de la grammaire.
Au collège, le programme n’indique pas les supports à utiliser en classe de langue, mais, dans les manuels et les recueils de tests pour l’évaluation nationale qui a lieu à la fin de la 8e, le texte littéraire fait souvent l’objet d’une analyse ponctuelle morpho-syntaxique ou lexicale. Des consignes telles que « Copie les mots qui contiennent des groupes vocaliques dans le premier énoncé du texte et identifie-les », « Forme trois dérivés à partir du mot şoarece », « Choisis trois noms communs en vocatif à l’aide desquels le professeur appelle ses élèves » ou « Explique la signification de l’adjectif souligné dans la construction pedagogul nostru absolut » proposées pour une page de littérature de I. L. Caragiale (il s’agit d’un extrait du texte Un pedagog de şcoală nouă: 4. Examenul anual) qu’on retrouve dans le test 38 d’un recueil paru en 2012 chez Paralela 45 (Davidoiu-Roman et alii 2012: 154-155), montrent que le texte littéraire devient outils d’analyse grammaticale. À ce type d’approche font appel même les enseignants de lycée, d’autant plus que, pour la 9e, les recommandations du programme les encouragent de manière explicite à enseigner la langue roumaine en s’appuyant sur les textes choisis pour le domaine Littérature.
Littérature nationale, littérature universelle
L’enseignement de la littérature dans le cadre de la discipline Langue et littérature roumaine s’appuie notamment sur des textes appartenant aux auteurs roumains. Dans le nouveau programme (2017) pour le collège on conseille aux professeurs, qui jouissent d’une plus grande liberté qu’auparavant en ce qui concerne les créations littéraires à étudier en classe, de choisir notamment des textes appartenants aux écrivains roumains.
Au collège, les manuels scolaires de langue et littérature roumaine sont centrés sur des textes littéraires écrits en roumain par des auteurs roumains. Les traductions des textes étrangers sont très rares. Il suffit de feuilleter les manuels Humanitas, qui jouissent d’une certaine réputation, pour constater le manque d’intérêt par rapport à la littérature étrangère, à l’altérité. En 5e, les élèves sont invités à lire (la séquence s’intitule Invitation à la lecture) quelques extraits de Michel Ende et Hans Christian Andersen et un fragment de littérature populaire allemande Til Buhoglinda (Crişan et alii 2012a) et, en 8e, ils ont accès à deux/trois pages de littérature universelle, l’une d’Isaac Asimov, les autres de Molière (Crişan et alii 2012d). Pour la 6e et la 7e, les manuels Humanitas proposent des textes qui appartiennent tous à la littérature nationale (Crişan et alii 2012a/2012b). Il nous reste à découvrir le contenu de nouveaux manuels qui, apparemment, ne seront pas publiés avant le début de l’année scolaire 2017-2018.
Au lycée, la situation n’est pas trop différente. Les manuels abondent en extraits de littérature nationale, mais ils sont pauvres en chefs-d’œuvre de la littérature universelle. Dans le manuel de lycée Corint pour la 11e (Simion et alii 2008), le symbolisme est illustré par des poèmes de Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé et Verlaine, dans un autre, Humanitas pour la 12e (Crişan et alii 2008) on propose comme textes auxiliaires des poèmes de Rainer Maria Rilke et Mallarmé, un fragment de prose de Mario Vargas Llosa et un fragment d’une pièce de théâtre de Samuel Beckett. Pour la 9e, le programme en vigueur recommande l’étude des textes et même des films étrangers, mais aucune obligation n’est pas stipulée. Combien d’enseignants choisiront-ils un texte étranger vu que le baccalauréat est axé sur la littérature nationale? Combien d’enseignants auront-ils le courage d’enseigner en classe de langue et littérature roumaine un auteur étranger qu’ils n’ont pas étudié à la faculté ? Combien d’entre eux vont s’arrêter sur un texte de J. D. Salinger, Alain-Fournier, William Golding, J.W.Goethe,Mark Twain, Lewis Caroll, Italo Calvino, Honoré de Balzac, John Steinbeck, James Joyce, Branislav Nuşici, William Shakespeare, Octavio Paz, Miguel de Cervantes, Alexandre Dumas (père),Herman Melville, E. Hemingway, Jules Verne, H. G. Wells, Dino Buzzati, Michael Ende, Stanislaw Lem, Milan Kundera etc. pour ne donner que quelques exemples proposés dans le même programme. Paradoxalement, à l’époque de la globalisation, la littérature universelle en tant que discipline à part est réservée aux élèves en philologie et théologie unitarienne, dans les deux dernières années de lycée, en 11e et en 12e, pour lesquelles le Ministère a affecté une seule classe par semaine.
La dimension nationale de l’enseignement de la littérature a récemment été mise en question. Sous l’influence des actions déroulées dans quelques pays occidentaux, on s’est rendu compte que la littérature nationale peut être mieux valorisée en se rapportant à ce qu’on appelle littérature universelle ou mondiale. Au début de l’année 2012, le projet proposé par Mme Oana Badea, secrétaire d’État à l’époque, concernant l’introduction de l’étude obligatoire des auteurs étrangers au primaire et au secondaire n’a malheureusement pas été adopté malgré les nombreux arguments offerts par les différents spécialistes du domaine. Les adeptes du projet demandaient la réorganisation intelligente des contenus et l’obligation d’enseigner des chefs-d’œuvre de la littérature universelle à tous les élèves dans le cadre des disciplines inscrites dans l’aire curriculaire Langue et communication. Même les statistiques (cf. De ce ar trebui predată literatura universală în şcoli) qu’ils ont réalisées pour d’autres systèmes d’enseignement européen, n’ont pas réussi à convaincre les autorités.
En guise de conclusion
De cette analyse sur l’enseignement de la littérature au secondaire en Roumanie, on pourrait retenir quelques idées. D’abord le fait que l’accent mis sur l’étude des textes roumains et la quasi absence des traductions dans les manuels approuvés par le Ministère est signe d’un ethnocentrisme littéraire qui nuit à la compréhension de la littérature nationale et de la culture dans son ensemble. Les élèves se voient ainsi refuser l’accès aux littératures et aux cultures des autres. Ensuite, le rapport entre libertés et contraintes dans le choix des textes à enseigner dont on fait mention dans les programmes scolaires me semble problématique, vu que les enseignants préfèrent s’arrêter sur des textes roumains et ignorent en général les textes étrangers. Dans le même sens, il est à condamner l’attitude contradictoire des officialités qui à la fois encouragent l’enseignement des littératures étrangères en faisant plein de recommandations dans les documents officiels et stoppent même le plus faible désir d’ouverture vers l’autre par les types de sujets proposés lors des examens nationaux à la fin du collège et du lycée. Malgré les bonnes intentions qu’on peut lire dans des documents officiels si bien et soigneusement élaborés, la pratique de classe montre qu’à l’école on apprend pour des examens. Sur ce point, il faut admettre avec Pennac que « l’école ne peut être une école du plaisir, lequel suppose une bonne dose de gratuité », mais qu’« elle est une fabrique nécessaire du savoir qui recquiert l’effort » (Pennac 1992). Finalement, voilà pourquoi le développement du goût pour la lecture n’est pas compatible avec l’école, institution incapable par toutes ses contraintes et exigences de susciter l’intérêt et le plaisir de lire chez des élèves stressés par un certain canon littéraire et des demandes parfois trop exigentes, voire trop techniques.
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